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48 - UN DYSFONCTIONNEMENT MASSIF DU MARCHE

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Earth Policy Institute
extrait du livre Plan B 3.0
Pour diffusion immédiate, le 17 décembre 2008

UN DYSFONCTIONNEMENT MASSIF DU MARCHE

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka

texte original:
http://www.earthpolicy.org/Books/Seg/PB3ch01_ss2.htm


Quand Nicholas Stern, ancien chef économiste à la Banque Mondiale, a publié son étude d'avant-garde sur les coûts futurs du changement climatique, vers la fin 2006, il a évoqué un dysfonctionnement massif du marché. Il faisait allusion à l’échec du marché à incorporer les coûts du changement climatique, liés à la combustion des combustibles fossiles. Ces coûts, disait-il, se mesureraient en trillions de dollars. La différence est gigantesque entre les prix du marché des combustibles fossiles et les prix incorporant également leurs coûts environnementaux pour la société.

Les racines de notre dilemme actuel résident dans l'énorme croissance de l'entreprise humaine au cours du siècle dernier. Depuis 1900, l'économie mondiale a été multipliée par 20 et la population du monde a été multipliée par quatre. Bien qu'il y ait eu des endroits en 1900 où la demande locale dépassait la capacité des écosystèmes, ce n'était pas un problème global. Il y avait de la déforestation mais le pompage excessif de l'eau était pratiquement inconnu, la surpêche était rare, et les émissions de carbone était si basses qu'il n'y avait aucun effet sérieux sur le climat. Les coûts indirects de ces excès étaient négligeables.

Aujourd’hui, avec une économie devenue aussi importante, les coûts indirects de la combustion du charbon (les coûts de pollution atmosphérique, les pluies acides, les écosystèmes dévastés, et le changement climatique) peuvent dépasser les coûts directs, ceux de l'extraction du charbon et de son transport vers les centrales. Le marché sous-évalue beaucoup de biens et de services en négligeant de considérer ces coûts indirects créant des distorsions économiques.

En tant que décideurs économiques (consommateurs, planificateurs de grandes entreprises, décideurs du gouvernement, ou banquiers d'investissement) nous dépendons tous du marché pour avoir l'information nécessaire pour nous guider dans nos décisions. Pour que les marchés fonctionnent et que les acteurs économiques prennent des décisions saines, les marchés doivent nous fournir la bonne information, y compris le coût total des produits que nous achetons. Pourtant le marché nous fournit une mauvaise information, et en conséquence nous prenons de mauvaises décisions, tellement mauvaises qu'elles menacent la civilisation.

Le marché est par de nombreux aspects une institution incroyable. Il alloue des ressources avec une efficacité qu'aucun système centralisé de planification ne peut égaler et il équilibre facilement l'offre et la demande. Le marché a cependant quelques faiblesses fondamentales. Il n'incorpore pas aux prix les coûts indirects de production de marchandises. Il n'évalue pas correctement les services rendus par la nature. Et il ne respecte pas les seuils de production soutenables des écosystèmes. Il favorise également le court terme par rapport au long terme, montrant peu de préoccupation pour les générations futures.

Un des meilleurs exemples de ce dysfonctionnement massif du marché peut être vu aux Etats-Unis, où le prix de l'essence à la mi 2007 était de 3 dollars par gallon. Mais ce prix reflète seulement le coût de recherche du pétrole, de son pompage à la surface, de son raffinage en essence, et de la distribution du carburant aux stations service. Il ignore les coûts du changement climatique comme les coûts des subventions à l'industrie pétrolière (telle que la oil depletion allowance - provision pour épuisement du pétrole, ndlt), les coûts militaires en pleine expansion pour protéger l'accès au pétrole au Moyen-Orient politiquement instable, et les coûts des soins de santé pour traiter les maladies respiratoires dues à la pollution de l’air.

Basés sur une étude du International Center for Technology Assessment (Centre international pour l'évaluation de technologie, ndlt) ces coûts se chiffrent maintenant à presque 12 dollars par gallon (2,26 € par litre) d'essence brûlé aux Etats-Unis. Si ceux-ci étaient ajoutés aux 3 dollars (coût de l'essence), les automobilistes payeraient 15 dollars le gallon d'essence à la pompe. En réalité, brûler de l'essence est très coûteux, mais le marché nous dit que c’est bon marché, créant ainsi des distorsions extrêmement importantes de la structure de l'économie. Le défi auquel font face les gouvernements est de restructurer les systèmes fiscaux en incorporant systématiquement les coûts indirects comme impôts pour assurer que le prix des produits reflète leur vrai coût pour la société et en compensant ceci par une réduction des impôts sur le revenu.

Une autre distorsion du marché est devenue tout à fait claire à l’été 1998, quand la vallée du fleuve Yang Tsé Kiang en Chine, foyer de presque 400 millions de personnes, a été dévastée par une des pires inondations de l'histoire. Les coûts des dégâts de 30 milliards de dollars dépassèrent la valeur de la moisson annuelle de riz du pays.

Après plusieurs semaines d'inondation, le gouvernement de Beijing (Pékin) annonça une interdiction de la coupe des arbres dans le bassin fluvial du Yang Tsé Kiang. Il a justifié ceci en constatant que la valeur des arbres restés debout est trois fois celle des arbres coupés : les services rendus par les forêts de lutte contre les inondations étaient bien plus précieux que la fonction ‘bois de charpente’ des arbres. En réalité, le prix du marché était sous-évalué dans un rapport trois..

Cette situation possède des parallèles occasionnels dans le monde des affaires. Vers la fin des années 90, Enron, une société en négoce d'énergie du Texas, a peut-être fait la couverture de plus de revues d'affaires que n'importe quelle autre société américaine. Elle réussissait spectaculairement. Enfant chéri de Wall Street, c'était la septième société en valeur aux Etats-Unis début 2001. Malheureusement, quand des auditeurs indépendants ont commencé à analyser finement Enron à la fin 2001, ils ont découvert que la compagnie avait écarté certains coûts des livres de comptes. Quand ceux-ci furent réintégrés, Enron avait perdu sa valeur. Ses titres, qui s'étaient échangées jusqu'à 90 dollars par action, s'échangeaient soudainement pour quelques pennies par action. Enron était en faillite. L'effondrement était total. Enron n'existe plus aujourd’hui.

Nous faisons aujourd'hui exactement ce qu' Enron a fait. Nous oublions d'inscrire des coûts dans les comptes, mais sur une échelle bien plus grande. Nous nous concentrons sur les indicateurs économiques clés comme la croissance économique et l'augmentation de l'investissement et du commerce international, et la situation semble bonne. Mais une image très différente émerge si nous incorporons tous les coûts indirects que le marché omet quand il fixe les prix.. Si nous persistons à laisser ces coûts en dehors des comptes, nous serons confrontés au même destin qu' Enron.

Aujourd'hui, plus que jamais auparavant, nous avons besoin de responsables politiques qui parviennent à voir l'image d'ensemble, qui comprennent le rapport entre l'économie et ses systèmes d’appui environnementaux. Et puisque les principaux conseillers du gouvernement sont des économistes, nous avons besoin d'économistes qui peuvent penser comme des écologues. Malheureusement ils sont rares. Ray Anderson, fondateur et Président d'Interface, un des principaux fabricants mondiaux de moquette industrielle basé à Atlanta, critique spécialement les sciences économiques telles qu'on les enseigne dans beaucoup d'universités : “ Nous continuons à enseigner aux étudiants en sciences économiques de faire confiance à la "main invisible" du marché, quand cette main invisible est clairement aveugle aux externalités et effectue des subventions massives, telles qu'une guerre afin de protéger le pétrole pour les compagnies pétrolières, comme si les subventions étaient méritées. Pouvons nous vraiment faire confiance à une main invisible aveugle pour allouer des ressources rationnellement ? ”

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Adapté du chapitre 1, “Entering a New World” (Entrer dans un nouveau monde, ndlt) dans plan B 3.0 : Mobilizing to Save Civilization (Se Mobiliser pour sauver la civilisation, ndlt) de Lester R. Brown, (New York: W.W. Norton & Company, 2008), disponible en téléchargement gratuit et à l'achat sur http://www.earthpolicy.org/index.php?/books/pb3

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