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146 - DÉFICIT D'EAU CROISSANT MENAÇANT LES RÉCOLTES DE CÉRÉALES

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Publication du Earth Policy Institute
Extrait de World on the Edge
20 juillet 2011

DÉFICIT D'EAU CROISSANT MENAÇANT LES RÉCOLTES DE CÉRÉALES

 

texte original:
http://www.earth-policy.org/book_bytes/2011/wotech2_ss2

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka et Pierre-Yves Longaretti

De nombreux pays sont confrontés à de dangereuses pénuries d’eau. La montée en puissance de la demande alimentaire mondiale a conduit des millions d’agriculteurs à forer de trop nombreux puits d’irrigation pour accroitre leurs récoltes. En conséquence, les nappes phréatiques sont en baisse et les puits s’assèchent dans quelque 20 pays qui totalisent la moitié de la population mondiale. Le pompage excessif des aquifères pour l’irrigation accroit temporairement la production alimentaire, mais crée une bulle de production qui éclate lorsque les nappes phréatiques sont épuisées.

Les tensions sur l’approvisionnement en eau d’irrigation dans les trois grands pays producteurs de céréales (les Etats-Unis, l’Inde et la Chine) sont particulièrement préoccupantes. Jusqu’à présent, ces pays ont réussi à éviter des baisses de récoltes au niveau national, mais la surexploitation continue des aquifères pourrait bientôt les rattraper. Dans la plupart des états américains où le recours à l’irrigation est important, la superficie irriguée a atteint son maximum et commence à régresser. En Californie, où le recours à l’irrigation a toujours été plus systématique qu’ailleurs dans le pays, l’effet combiné de l’épuisement des nappes phréatiques et du détournement de l’eau d’irrigation vers les zones urbaines en croissance rapide a provoqué une réduction de la superficie irriguée qui, de près de 3,6 millions d’hectares en 1997, est tombée à environ 3 millions d’hectares en 2010. Au Texas, la superficie irriguée dont le maximum était de 2,8 millions d’hectares en 1978 est retombée à quelque 2 millions d’hectares lorsque les prélèvements ont atteint le fond de la nappe aquifère d’Ogallala dans le nord de cet état.

L’Arizona, le Colorado et la Floride enregistrent aussi un recul de l’irrigation. Ces trois états font face à la fois à l’épuisement des nappes phréatiques et au détournement de l’eau d’irrigation vers les centres urbains. Les états comme le Nebraska et l’Arkansas où la croissance des surfaces irriguées était importante commencent à marquer le pas, et les perspectives d’une croissance des cultures irriguées aux Etats-Unis sont inexistantes. De plus, les ressources en eau sont en baisse du fait de l’assèchement des nappes phréatiques des Grandes Plaines et de la vallée centrale de Californie. Les villes du le sud-ouest sont en forte croissance et préemptent de plus en plus d’eau d’irrigation. La conjonction de ces tendances fait que la superficie irriguée des États-Unis non seulement n’augmente plus, mais a probablement commencé à régresser.

L’Inde est confrontée à une situation beaucoup plus critique. Une étude de la Banque Mondiale réalisée en 2005 indiquait que l’approvisionnement en céréales de 175 millions d’indiens repose sur un pompage excessif. Les nappes phréatiques baissent et les puits s’assèchent dans la plupart des états du pays, notamment dans le Pendjab et l’Haryana, deux producteurs de céréales dont les excédents fournissent la majeure partie du blé et une bonne partie du riz destinées aux importants programmes nationaux d’aide alimentaire à destination des plus pauvres.

Il est difficile d’obtenir une information fiable et actualisée, mais il est clair que le surpompage est très répandu en Inde. Les nappes phréatiques sont en baisse, les puits s’assèchent, et les agriculteurs qui peuvent se le permettre forent des puits plus profonds dans ce qui a été décrit comme “une course à la profondeur.” En se basant sur des études menées par des chercheurs indépendants, il y a de fortes raisons de penser que des décennies de pompage excessif dans des états clés conduisent à l’épuisement des nappes phréatiques à une échelle qui affecte les capacités d’irrigation du pays tout entier. La bulle alimentaire indienne est peut-être sur le point d’éclater.

En Chine, bien que l’eau de surface soit largement utilisée pour l’irrigation, la principale préoccupation concerne la moitié nord du pays, où les précipitations sont faibles et les nappes phréatiques partout en baisse. C’est le cas notamment de la plaine du nord de la Chine, très productive, qui s’étend du nord de Shanghai au nord de Pékin et qui produit la moitié du blé et le tiers du maïs du pays. Le surpompage dans la plaine du nord suggère que l’alimentation de 130 millions de chinois environ dépend d’une utilisation non durable de l’eau.

En outre, les pénuries en eau des villes chinoise et la croissance rapide du secteur industriel du pays génèrent des prélèvements de plus en plus importants sur les ressources en eau douce. Dans de nombreux cas, la croissance industrielle et la demande urbaine en eau ne peuvent être satisfaites qu’au détriment de l’agriculture. Bien que de nouveaux barrages en cours de construction dans le sud-ouest montagneux puissent compenser au moins une partie des pertes subies ailleurs, il est possible que la superficie irriguée ait atteint son maximum à l’échelle du pays. Les trois principaux pays producteurs de céréales seraient alors dans la même situation.

Le Moyen-Orient est la région géographique où les pénuries d’eau affectent le plus immédiatement la sécurité alimentaire. En 2008, l’Arabie Saoudite est devenue le premier pays du monde à reconnaitre l’éclatement de sa bulle alimentaire en annonçant que l’aquifère dont dépend sa production de blé était largement épuisé. L’Arabie Saoudite arrête progressivement sa production de blé, et pourrait redevenir totalement dépendant des importations en 2013. Au Yémen les nappes phréatiques baissent de près de 2 mètres par an. La récolte de céréales du Yemen a reculé d’un tiers au cours des 40 dernières années, obligeant le pays à couvrir par les importations plus de 80 % de ses besoins.

La Syrie et en Irak, les deux autres pays les plus peuplés de la région, ont des problèmes d’eau, liés en partie à la réduction des débits du Tigre et de l’Euphrate dont ils dépendent pour l’irrigation. La Turquie contrôle les sources de ces rivières ; elle est engagée dans un vaste programme de construction de barrages qui réduit lentement les débits en aval. Bien que les trois pays soient en négociation sur la question du partage de ces eaux, les objectifs ambitieux de la Turquie en matière d’hydroélectricité et d’irrigation sont en partie atteints au détriment de ses deux voisins.

Du fait des incertitudes pesant sur la disponibilité future de l’eau des deux fleuves, les agriculteurs multiplient les forages en Syrie et en Irak. Il en résulte un surpompage et l’émergence d’une bulle alimentaire dans les deux pays. La récolte de céréales de la Syrie a chuté d’un cinquième depuis son maximum de près de 7 millions de tonnes en 2001. En Irak, la récolte de céréales a chuté d’un quart depuis le sommet de 4,5 millions de tonnes atteint en 2002.

La Jordanie, avec 6 millions d’habitants, est également dans une situation tendue en matière agricole. Il y a une quarantaine d’années, elle produisait plus de 300 000 tonnes de céréales par an. Aujourd’hui, elle ne produit que 60 000 tonnes et doit donc importer plus de 90 % de ses céréales. Israël, qui a interdit l’irrigation du blé en 2000 en raison du manque d’eau douce, voit sa production de céréales baisser depuis 1983. Ce pays a désormais recours à l’importation pour 98 % de ses besoins. Plus à l’est, l’approvisionnement en eau se resserre également en Iran et en Afghanistan. On estime que l’alimentation d’un cinquième des 75 millions d’Iraniens dépend de céréales produites par surpompage. L’Iran va devoir faire face à la plus grande bulle alimentaire de la région. L’Afghanistan, un pays enclavé à forte croissance démographique, importe déjà le tiers de ses céréales.

C’est donc au Moyen-Orient où l’augmentation de la population est rapide que l’on observe la première collision entre croissance démographique et approvisionnement en eau à l’échelle d’une région du monde. En raison de l’incapacité des gouvernements de la région à coordonner leurs politiques démographiques et leur gestion de l’eau, chaque jour qui passe voit 10 000 personnes supplémentaires à nourrir et de moins en moins d’eau à consacrer à l’irrigation pour y parvenir.

Jusqu’à présent, les pays frappés par la baisse des ressources en eau et la réduction induite des récoltes de céréales étaient tous assez peu peuplés. Mais des pays de taille moyenne comme le Pakistan ou le Mexique sont également confrontés au même problème. Le Pakistan, qui lutte pour rester autosuffisant en céréales, semble perdre la bataille. Sa population de 185 millions d’habitants en 2010 devrait atteindre 246 millions en 2025. Il lui faudra donc nourrir 61 millions de personnes en plus d’ici 15 ans. Mais les niveaux des puits des villes jumelles d’Islamabad et Rawalpindi baissent déjà chaque année d’un mètre ou plus. Ils baissent aussi sous la plaine fertile du Pendjab, partagée entre le Pakistan et l’Inde. Un rapport de la Banque Mondiale, Pakistan’s Water Economy: Running Dry (l’Economie de l’eau au Pakistan: au bord de la pénurie, ndlt), résume la situation: « la survie d’un Pakistan moderne en forte croissance est menacée par le manque d’eau ».

Le Mexique est un pays de 111 millions de personnes où la demande en eau est supérieure à l’offre. Dans l’état agricole de Guanajuato, la nappe phréatique baisse de 2 mètres ou plus par an. Dans celui du Sonora au nord-ouest, producteur de blé, les agriculteurs pompaient autrefois dans la nappe Hermosillo à une profondeur de 12 mètres. Aujourd’hui, ils pompent à plus de 120 mètres. 51 % de tous les prélèvements d’eau du Mexique proviennent de nappes phréatiques surexploitées et la bulle alimentaire de ce pays peut éclater à tout moment.

Si le statu quo se poursuit, la question pour tous les pays pratiquant un pompage excessif n’est pas de savoir si leur bulle alimentaire va éclater, mais quand cela se produira — et comment leurs gouvernements vont y faire face. Pour certains pays, l’éclatement de la bulle pourrait s’avérer catastrophique. Pour la planète dans son ensemble, l’éclatement quasi-simultané de plusieurs bulles alimentaires nationales pourrait créer des pénuries alimentaires ingérables et se transformer en menace imminente pour la sécurité alimentaire et la stabilité politique mondiales.

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Adapté de World on the Edge de Lester R. Brown. Ouvrage complet disponible en ligne sur :
http:/www.earth-policy.org/books/wote

World on the Edge est également disponible en français sous le titre de Basculement.

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