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Publication de l’Earth Policy Institute
Extrait de livre
6 octobre 2010

RÉDUIRE L’UTILISATION DE L’EAU DANS LES VILLES


Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

texte original:
www.earth-policy.org/book_bytes/2010/pb4ch06_ss5

Le président des Etats-Unis Théodore Roosevelt a un jour observé qu’ «un peuple civilisé devrait savoir comment se débarrasser de ses eaux usées autrement qu’en les mettant dans l’eau potable».

Cette méthode traditionnelle de dispersion des déjections humaines et des déchets industriels est une pratique dépassée dans un contexte d’existence conjointe de nouvelles technologies et de restrictions d’eau. Elle est pourtant toujours répandue dans une grande partie du monde. L’eau arrive en ville, est contaminée par les excréments et les déchets industriels, et en repart dangereusement polluée. Les déchets toxiques industriels déversés dans les lacs, les rivières ou les puits, s’infiltrent aussi dans les nappes phréatiques, rendant les eaux de surface et souterraines impropres à la consommation.

Le principe actuel de dispersion des déjections humaines est d’utiliser de grandes quantités d’eau pour les évacuer, de préférence dans un système d’égout, où ils seront (ou non) traités avant d’être rejetés dans la rivière locale. Le système « je tire la chasse et j’oublie » extrait des nutriments des sols, pour les déverser typiquement dans le point d’eau le plus proche. Ces nutriments sont non seulement perdus pour l’agriculture, mais leur surconcentration a contribué à la mort biologique de nombreuses rivières ainsi qu’à la formation de 405 « zones mortes » dans les eaux côtières océaniques. Ce système dépassé coûte cher et consomme beaucoup d’eau, il interrompt le cycle des nutriments et représente une cause majeure de maladies et de décès. Près de 2 millions de personnes meurent chaque année dans le monde du fait d’installations sanitaires et d’hygiène intime insuffisantes ; ce chiffre est à comparer avec celui des 6 millions de personnes qui meurent annuellement de faim et de malnutrition.

Sunita Narain du Centre pour la Science et l’Environnement en Inde argumente de façon convaincante qu’un système d’élimination des excréments basé sur l’eau, intégrant des installations de traitement des eaux usées n’est plus viable pour son pays, tant sur les plans environnementaux qu’économiques. Elle a observé qu’une famille indienne de 5 personnes produisant 250 litres d’excréments par an contamine 150 000 litres d’eau par an en utilisant une toilette à eau.

Le système d’assainissement de l’Inde tel qu’il est actuellement conçu est en fait un système de diffusion d’agents pathogènes : une petite quantité de matière contaminée rend d’énormes quantités d’eau impropres à l’utilisation par l’homme. Pour Narain, «ce système est en train de faire mourir nos rivières et nos enfants». Le gouvernement indien, comme ceux de nombreux pays en développement, cherche désespérément à généraliser un système d’assainissement basé sur l’eau et des infrastructures de traitement ; réduire l’immense écart qui existe entre les besoins et les services qu’il est capable de fournir est impossible, mais la viabilité économique de ce système n’est pas remise en cause.

Il existe heureusement une alternative peu coûteuse : la toilette sèche. Il s’agit d’une simple toilette sans odeur, n’utilisant pas d’eau, reliée à une installation de compostage, et parfois à un système séparé de récupération d’urine. L’urine collectée peut être utilisée comme engrais dans les fermes alentours. Le compostage à sec transforme les excréments humains en un terreau pratiquement sans odeur ne représentant plus environ que 10 pour cent du volume initial. Ces installations doivent être vidées à peu près chaque année, selon leur conception et leur taille. Les marchands ramassent régulièrement l’humus et le vendent comme complément pour le sol, assurant ainsi le retour des nutriments et matières organiques dans le sol et réduisant le besoin en engrais coûteux en énergie.

Comparée aux toilettes à eau, cette technologie réduit drastiquement l’utilisation d’eau des logements, et fait baisser les factures et la quantité d’énergie nécessaire au pompage et à la purification de l’eau. Elle permet en outre de réduire les volumes d’ordures quand les déchets alimentaires y sont aussi compostés, d’éliminer le problème d’évacuation des eaux usées et de restaurer le cycle des nutriments. L’Agence Américaine pour la Protection de l’Environnement recense maintenant les marques de toilettes sèches homologuées. Lancées au départ en Suède, ces toilettes fonctionnent bien dans les diverses conditions dans lesquelles elles sont utilisées, que ce soit dans les immeubles suédois, les résidences privées des Etats-Unis et les villages chinois. Les toilettes sèches peuvent être une solution pour une majorité des 2,5 milliards de personnes qui ne disposent pas d’installations sanitaires satisfaisantes.

Rose George, auteur du livre «Le grand besoin : le monde tabou des déjections humaines et son importance» nous rappelle pourquoi le système «Je tire la chasse et j’oublie» est une gabegie énergétique. Il utilise tout d’abord de l’énergie pour nous fournir de grandes quantités d’eau potable (jusqu’à 30 pour cent de la consommation d’eau domestique est utilisé par les toilettes); et il en utilise encore beaucoup pour faire fonctionner les infrastructures de traitement des eaux usées.

Pour résumer, plusieurs raisons conduisent à faire de ce système perfectionné de toilettes sèches une première priorité : le développement des pénuries d’eau, la montée des prix de l’énergie et celle des émissions de carbone, la réduction des réserves de phosphates, la progression du nombre de zones mortes océaniques, l’augmentation du coût des soins des maladies intestinales, et les coûts d’investissement croissants des systèmes d’évacuation des eaux usées.

Le recyclage des eaux domestiques devient un processus bien plus simple dès que les toilettes n’utilisent plus d’eau. Pour les villes, la seule action efficace pour augmenter la productivité de l’eau est d’adopter un système complet de traitement et recyclage de l’eau, utilisant continuellement la même eau. Avec ce système, qui est bien plus simple si les eaux usées ne contiennent plus de déjections humaines, seul un faible pourcentage d’eau est perdu par évaporation à chaque cycle. Au vu des technologies aujourd’hui disponibles, il est tout à fait possible de recycler indéfiniment l’eau distribuée en milieu urbain, et de réduire ainsi considérablement la demande des villes pour une ressource en eau devenue rare.

Certaines villes confrontées à la restriction des approvisionnements commencent à recycler leur eau. Singapour, par exemple, qui achète à la Malaisie de l’eau à un prix élevé, recycle déjà son eau, et réduit ainsi le volume de ses importations. Windhoek, capitale de la Namibie et qui est l’un des endroits les plus arides d’Afrique, recycle ses eaux usées pour fournir de l’eau potable. En Californie, où l’eau est rare, le Comté d’Orange a investi 481 millions de dollars dans une installation de recyclage qui a ouvert au début 2008 pour transformer les eaux usées en une eau propre et saine, utilisée pour recharger l’aquifère local. Los Angeles prévoit de faire de même. Le recyclage de l’eau devient une condition de survie pour un nombre croissant de villes.

Les industries confrontées à des pénuries d’eau tendent à éviter d’en consommer pour éliminer leurs déchets. Pour réutiliser l’eau, certaines entreprises séparent les flots d’effluents, traitant chacun de manière individuelle avec des produits chimiques adaptés et des membranes de filtration. Peter Gleik, qui dirige l’édition du rapport bi-annuel The World’s Water, écrit : « certaines industries, comme les papeteries ou les usines de production de pulpe de bois, les laveries industrielles et celles de finition des métaux, commencent à développer des systèmes en ‘boucle fermée’ ou toute l’eau rejetée est réutilisée en interne, avec un apport limité d’eau douce pour compenser l’eau injectée dans le produit ou perdue par évaporation. Le secteur industriel évolue plus vite que les zones urbaines, mais les technologies qu’elles développent peuvent aussi être utilisées pour le recyclage de l’eau en ville.

Des économies d’eau sont réalisables dans les logements en utilisant des pommeaux de douches, des toilettes, et des machines à laver le linge ou la vaisselle à faible consommation. Certains pays sont en train d’adopter des normes d’efficience de l’eau et des labels pour les appareils électroménagers, très comparables à ce qui a été fait pour l’efficacité énergétique. Avec l’augmentation à venir inéluctable des prix de l’eau, les investissements dans des toilettes sèches et des appareils électroménagers à faible consommation d’eau vont devenir de plus en plus intéressants pour les propriétaires de logements individuels.

Deux équipements (les toilettes et les douches) représentent plus de la moitié de la consommation d’eau des logements. Alors que les toilettes traditionnelles à chasse d’eau utilisent 22,7 litres par utilisation, la norme légale aux Etat-Unis pour les nouveaux WC est passée à 6 litres. Les nouvelles toilettes équipées d’une double chasse utilisent seulement 3,8 litres pour évacuer les liquides et 6 litres pour les solides. Passer d’un pommeau de douche utilisant 20 litres d’eau par minute à un modèle n’en consommant plus que 10 divise par 2 la consommation d’eau. Du côté des machines à laver, un produit européen à axe horizontal consomme 40 pour cent moins d’eau que les modèles traditionnels à axe vertical.

Le système actuel de dispersion des déchets par utilisation d’eau n’est pas viable. Notre planète bondée abrite trop de logements, d’usines et d’élevages intensifs pour se débarrasser de ses déchets en les dispersant dans la nature. Cette approche appartient au temps où nous étions bien moins nombreux et l’activité économique bien plus réduite. Elle est maintenant écologiquement stupide et dépassée.

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Adapté du Chapitre 6, “Concevoir les villes pour les personnes » de Plan B 4.0: Mobilizing to Save Civilization (New York: W.W. Norton & Company, 2009) de Lester Brown, disponible gratuitement en ligne sur :
http://www.earthpolicy.org/index.php?/Books/pb4

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