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118 - L’EROSION DES BASES DE LA CIVILISATION

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Publication de l’Earth Policy Institute
Extrait de livre
28 septembre 2010

L’EROSION DES BASES DE LA CIVILISATION


Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

texte original:
http://www.earth-policy.org/index.php?/book_bytes/2010/pb4ch02_ss2

La fine couche de terre arable qui couvre la planète constitue le fondement de notre civilisation. Cette partie du sol, habituellement d’une épaisseur proche de 2 mètres, s’est constituée sur de longues périodes aux temps géologiques, lorsque son rythme de formation était supérieur à l’érosion naturelle. Cependant, au cours du siècle dernier, la croissance démographique et celle des troupeaux ont provoqué un phénomène d’érosion qui maintenant prend le pas sur le renouvellement de l’humus, sur de très grandes superficies.

Ceci n’est pas un phénomène nouveau. Mais à l’inverse, certaines terres sont cultivées depuis des milliers d’années. En 1938, au cours d’un voyage d’étude sur la question, Walter Lowdermilk, expert du Service de Protection des Sols du Ministère Américain de l’Agriculture, s’est intéressé à la façon dont les civilisations du passé avaient fait face à l’érosion des sols. Il a découvert que certaines avaient bien géré leurs terres et étaient parvenu à protéger leur prospérité et la fertilité de leurs sols pendant de longues périodes de leur histoire, pour rester florissantes. D’autres n’ont pas réussi à le faire et n’ont laissé que des vestiges de leur illustre passé.

Dans un chapitre de son rapport appelé “ Les 100 villes mortes ”, il décrit un site du Nord de la Syrie près d’Alep, où des bâtiments antiques se dressent toujours dans un relief isolé et désolé, apparemment construits à même la roche. Au cours du septième siècle, cette région florissante a été envahie, d’abord par l’armée Perse puis par des nomades du Désert d’Arabie. Au cours de ces invasions, des pratiques de préservation des sols et de l’eau vieilles de plusieurs siècles ont été abandonnées. Lowdermilk souligne qu’ “ à cet endroit, l’érosion a produit les plus grands dégâts. Si les sols n’avaient pas subi une telle dégradation, la région aurait pu être repeuplée et les cités reconstruites en dépit de la dispersion de leurs populations. Mais la disparition des sols a interdit toute renaissance”

L’érosion par l’eau et le vent font des ravages. L’envasement des réservoirs et les photographies satellite de fleuves boueux et chargés de limons s’écoulant dans la mer montrent l’étendue de la première. Deux grands lacs du Pakistan, le Mangla et le Tarbela, perdent chaque année environ 1 pour cent de leur capacité de stockage, comblés par les boues provenant des bassins versants déboisés.

L’Ethiopie, pays montagneux aux sols très sensibles à l’érosion, perd chaque année 2 milliards de tonnes de terre de surface, lessivées par les pluies. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Ethiopie semble toujours au bord de la famine, n’arrivant jamais à constituer des réserves suffisantes de céréales pour véritablement assurer sa sécurité alimentaire.

L’érosion des sols liée la détérioration des prairies est un phénomène très répandu. Le cheptel mondial de bovins, de chèvres et de moutons, en progression ininterrompue, cherche sa nourriture sur les 2/5 des terres de la surface de la planète impropres aux récoltes car trop sèches, trop pentues ou infertiles. Ces zones hébergent la plupart des 3,3 milliards de bovins, chèvres et moutons de la planète, dont le métabolisme transforme toute forme de fibre en viande et en lait.

Sinai Desert
Credit: iStock Photo/stevenallan

Environ 200 millions de personnes vivent du pastoralisme à l’aide de ces animaux. La plupart des terres étant mises en commun dans les sociétés pastorales, le surpâturage est difficile à contrôler, et la moitié de l’ensemble des prairies est dégradée au niveau mondial. Le problème est particulièrement visible en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie Centrale et au Nord-Ouest de la Chine, où l’expansion des troupeaux suit celle des populations humaines. Les nombres d’habitants et de têtes de bétail en Afrique sont ainsi passés respectivement de 227 et 373 millions en 1950, à 965 et 824 millions en 2007.

Le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique, abandonne chaque année 351 000 hectares de pâturages et de terres cultivées au désert. Alors que le pays a vu sa population passer de 37 à 148 millions d’habitants entre 1950 et 2007, ses troupeaux dans le même temps sont passés de 6 à 102 millions de têtes, soit une multiplication par 17. Les besoins en nourriture des 16 millions de bovins et 86 millions de chèvres et moutons du Nigéria dépassant la production renouvelable des prairies, la partie Nord du pays se transforme lentement en désert. Si le Nigéria poursuit sur cette voie, avec une population projetée de 289 millions d’habitants en 2050, la dégradation ne fera que s’accélérer.

L’Iran, pays de 73 millions d’habitants, illustre les pressions auxquelles doit faire face le Moyen-Orient. De par la présence de 8 millions de bovins et 79 millions de chèvres et moutons (source de la laine des légendaires tapis persans), les pâturages iraniens se dégradent par surexploitation. Au Sud-Est, dans la province du Sistan-Balouchistan, les tempêtes de sable ont enseveli 124 villages qui ont du être abandonnés. Les sables à la dérive ont recouvert les zones de pâturages, affamant les troupeaux et privant les villageois de leur moyen de subsistance.

L’Afghanistan voisin fait face à une situation similaire. Le désert du Registan progresse vers l’Ouest, gagnant du terrain sur les zones agricoles. Une équipe du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a indiqué que “ jusqu’à 100 villages ont été recouverts par la poussière et le sable poussés par le vent ”. Au Nord-Ouest du pays, le prélèvement de bois de chauffage et le surpâturage ont entraîné la perte d’une végétation stabilisatrice, permettant alors aux dunes de sables de se déplacer librement sur les terres agricoles de la partie supérieure du bassin de l’Amou Darya ; l’équipe du PNUE a observé l’existence de dunes de sable de 15 mètres de haut bloquant les routes et obligeant les habitants à emprunter d’autres itinéraires.

La Chine doit également faire face à des défis tout aussi redoutables. Suite à la réforme économique de 1978 qui a transféré aux fermes familiales la responsabilité de la production agricole assurée auparavant par de grandes structures contrôlées par l’Etat, les cheptels chinois de bovins, caprins et ovidés ont explosé. La Chine compte 82 millions de têtes de bétail, soit légèrement moins que les 97 millions de têtes des Etats-Unis, pays aux capacités de pâturage comparables ; mais le troupeau caprin et ovin chinois s’élève à 284 millions de têtes, contre seulement 9 millions de têtes aux Etats-Unis. Concentrés dans les provinces du Nord et de l’Ouest du pays, les moutons et les chèvres détruisent la végétation qui protège la terre. Le vent fait alors le reste, emportant le sol et transformant les pâturages productifs en désert.

La progression de la désertification de la Chine est peut-être la plus critique au monde. Wand Tao, l’un des plus grands spécialistes mondiaux des déserts, indique qu’entre 1950 et 1975 la désertification progresse chaque année en moyenne de plus de 1 500 km². A la fin du siècle dernier, ce chiffre était passé à 3 600 km² par an. Sur les cinquante dernières années, près de 24 000 villages au Nord et à l’Ouest de la Chine, envahis par le sable, ont été partiellement ou entièrement abandonnées.

La Chine est maintenant en guerre ; son territoire est menacé, non par des invasions étrangères, mais par l’extension des déserts. Les anciens déserts progressent, et de nouveaux se constituent, à l’image de troupes de guérillas, obligeant Pékin à combattre sur plusieurs fronts.

L’érosion des sols provient souvent de l’extension des cultures impulsée par la demande sur des terres à faible rendement. Au cours du siècle dernier, les Etats-Unis et l’Union Soviétique ont pratiqué cette extension de culture à grande échelle ; elle a tourné dans les deux cas au désastre.

A la fin du 19ème siècle, des millions d’Américains ont migré vers l’Ouest pour s’installer dans les Grandes Plaines. Ils y ont mis en culture de grandes étendues de prairies pour y faire pousser du blé. Beaucoup de ces terres hautement sujettes à l’érosion une fois labourées n’auraient jamais dû être exploitées. Ce phénomène de surplantation a culminé lors du Dust Bowl dans les années 1930, une période traumatisante relatée dans le roman de John Steinbeck Les Raisins de la Colère. Dans un programme choc pour sauver leurs sols, les Etats-Unis ont à nouveau converti en prairies de grandes surfaces érodées de terres cultivées, adopté la culture en bandes, et planté des milliers de kilomètres de haies de protection

Amazon Deforested
Credit: iStock Photo/Brasil2

La seconde grande extension de surfaces cultivées s’est déroulée en Union Soviétique au milieu des années 1950. Dans un effort acharné pour accroître sa production de céréales, les Soviétiques ont mis en labours une superficie de prairie supérieure aux plantations de blé du Canada et de l’Australie réunies. La conséquence, prévue par les agronomes Soviétiques, fut un désastre écologique : un 2ème Dust Bowl. Depuis les années 1980, le Kazakhstan, ou furent concentrés ces labours, a perdu 40% de ses surfaces cultivés en céréales. Sur les terres encore en exploitation, le rendement de blé à l’hectare est de 1/6 de celui de la France, premier producteur de blé de l’Europe occidentale.

Une troisième extension massive de surfaces cultivées est maintenant en train de se dérouler dans le Bassin Brésilien de l’Amazone, et dans le Cerrado, une région de type savane située au Sud de ce Bassin. Les terres du Cerrado sont sensibles à l’érosion, comme l’étaient celles touchées par les programmes américains et soviétiques. Cette extension des surfaces cultivées pousse les éleveurs de bétail sur la forêt Amazonienne, pour laquelle les écologistes sont convaincus que la poursuite de l’abattage forestier finira en désastre. Le reporter Geoffrey Lean, résumant dans le journal londonien The Independant les conclusions d’un congrès scientifique brésilien de 2006, dit que la forêt tropicale en Amazonie laisserait place “ au mieux à une savane sèche, au pire au désert ”.

La civilisation doit son existence aux sols fertiles. Au bout du compte, la santé des populations est tributaire de celle des terres. Les thèmes de la préservation et de la reconstitution de sols seront abordés dans la prochaine mise à jour du plan B.

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Adapté du Chapitre 2, "Pression démographique : terre et eau ," de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009) par Lester R. Brown, disponible en ligne sur :
http://www.earthpolicy.org/index.php?/Books/pb4

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