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105 - COMPETITION ENTRE VOITURES ET HUMAINS POUR LES CEREALES

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Publication de l’Earth Policy Institute    
Extrait de livre     
1er juin 2010  

COMPETITION ENTRE VOITURES ET HUMAINS POUR LES CEREALES

Lester Brown traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
http://www.earthpolicy.org/index.php?/book_bytes/2010/pb4ch02_ss6

Les pressions excessives sur les ressources en eau et terre deviennent de plus en plus préoccupantes, et font émerger une nouvelle demande massive pour les terres cultivées, destinées à produire du carburant pour les voitures. Cette demande menace la sécurité alimentaire mondiale. Bien que cette situation se dessine depuis quelques décennies, ce n’est pas avant l’ouragan Katrina en 2005, lorsque le prix du pétrole a dépassé 60 dollars le baril et le prix de l’essence aux Etats-Unis a grimpé à 0,80 dollars le litre, que la situation est devenue un centre d’attention. Tout à coup, les investissements dans les distilleries d’éthanol à base de maïs sont devenus extrêmement rentables. Cela a déclenché une frénésie d’investissement qui a convertit un quart de la récolte de céréales des États-Unis en 2009 en carburant pour les voitures.
 
Les États-Unis ont rapidement dominé la production de carburants agricoles pour les voitures. En 2005, ils ont éclipsé le Brésil, autrefois le premier producteur mondial d’éthanol. En Europe, où la production de biodiesel prime (principalement à partir du colza) quelque 9 milliards de litres ont été produits en 2009. Pour atteindre son objectif biodiesel, l’Union européenne, à cause de contraintes sur les terres cultivées, se tourne de plus en plus vers l’huile de palme importée d’Indonésie et la Malaisie. Cette tendance provoque la coupe de forêts primaires pour les plantations de palmiers à huile.
 
Le prix des céréales est désormais lié au prix du pétrole. Historiquement, les économies des denrées alimentaires et de l’énergie ont été séparées, mais maintenant, avec la grande capacité de transformation des céréales en éthanol des États-Unis, cela change. Dans cette nouvelle situation, lorsque le prix du pétrole monte, le prix mondial des céréales monte vers sa valeur équivalent-pétrole. Si la valeur énergétique des céréales est supérieure à sa valeur alimentaire, le marché déplacera la marchandise dans l’économie de l’énergie. Si le prix du pétrole grimpe à 100 dollars le baril, le prix des céréales le suivra à la hausse. Si le pétrole monte à 200 dollars, les céréales suivront aussi.

La consommation mondiale de céréales, en grande partie soutenue par la croissance démographique et la consommation croissante de produits animaux à base de céréales, a augmenté en moyenne de 21 millions de tonnes par an, de 1990 à 2005. Les céréales ont ensuite massivement été utilisées dans les distilleries d’éthanol américaines, et elles sont passées de 54 millions de tonnes en 2006 à 95 millions de tonnes en 2008. Ce saut de 41 millions de tonnes a, presque du jour au lendemain, doublé la croissance annuelle de la demande mondiale pour les céréales, les prix mondiaux du blé, du riz, du maïs et du soja ont triplés de la mi-2006 à la mi-2008. Un analyste de la Banque mondiale attribue 70 pour cent de la hausse des prix alimentaires à ce détournement de nourriture destiné à produire du carburant pour les voitures. Depuis, les prix ont quelque peu baissé en raison de la récession économique mondiale, mais ils sont encore bien supérieurs aux niveaux historiques.
 
D’un point de vue agricole, l’appétit du monde pour les carburants issus de cultures est insatiable. Les céréales nécessaires pour faire le plein d’éthanol d’un réservoir de 95 litres d’un 4 x 4, nourrissent une personne pendant une année entière. Si la récolte totale de céréales des États-Unis devait être convertie en éthanol, elle satisferait au maximum 18 pour cent des besoins américains en carburant automobile.
 
En 2003, les projections de C. Ford Runge et Benjamin Senauer, professeurs de l’Université du Minnesota, ont montré que le nombre de personnes affamées et mal nourries diminuait régulièrement jusqu’en 2025. Mais la mise à jour de ces projections début 2007, prenant en compte l’effet des biocarburants sur les prix alimentaires mondiaux, a montré un nombre en hausse rapide dans les années à venir. Des millions de personnes vivant sur les échelons inférieurs de l’échelle économique mondiale, qui peinent à survivre, n’ont plus prise et commencent à tomber.
 
Étant donné que les budgets des organismes internationaux d’aide alimentaire sont fixés à l’avance, une hausse des prix des denrées alimentaires diminue l’aide alimentaire. Le Programme alimentaire mondial, qui fournit maintenant une aide alimentaire d’urgence à plus de 30 pays, a réduit les livraisons, car les prix ont grimpé. La faim se répand, avec près de 18 000 enfants qui chaque jour meurent de la faim et des maladies associées.
 
L’émergence d’une concurrence entre les propriétaires des 910 millions d’automobiles dans le monde et les 2 milliards de personnes les plus pauvres emmène notre civilisation dans un territoire inconnu. Soudain, le monde est confronté à un problème moral et politique épique : les céréales doivent elles être utilisées pour alimenter des voitures ou nourrir les gens ? Le revenu moyen des propriétaires d’automobiles de la planète est environ 19 000 euros par an; les 2 milliards de personnes les plus pauvres gagnent en moyenne moins de 3 000 dollars par an. Le marché dit que nous allons alimenter les voitures en carburant.
 
Pour chaque hectare de maïs supplémentaire planté pour produire du carburant, un hectare pour les cultures doit être libéré ailleurs. Mais il existe peu de nouvelles terres à labourer, à moins qu’elles ne viennent de la coupe de forêts tropicales humides en Amazonie, dans les bassins du Congo et en Indonésie, ou du défrichement du cerrado brésilien. Malheureusement, cela a de lourdes conséquences sur l’environnement : un dégagement massif de carbone séquestré, la perte d’espèces végétales et animales, et une augmentation du ruissellement des pluies et de l’érosion des sols.
 
Utiliser des cultures alimentaires pour alimenter les voitures a peu de sens si cela fait monter les prix des denrées alimentaires. Il existe une possibilité de produire des carburants à partir d’arbres à croissance rapide, comme le panic érigé (panicum virgatum), des mélanges de graminées de prairie ou d’autres matériaux cellulosiques, qui peuvent être cultivées sur des terres abandonnées. Les technologies pour convertir ces matières cellulosiques en éthanol existent, mais le coût de production de l’éthanol cellulosique est près du double de celui de l’éthanol à base de céréales. Et on ne sait pas si son prix sera compétitif avec l’éthanol produit à partir de céréales.
 
Il existe des alternatives à ce scénario sinistre. La décision en mai 2009 d’élever les normes d’efficacité énergétique des voitures américaines de 40 pour cent d’ici 2016 permettra de réduire la dépendance américaine au pétrole beaucoup plus que ne le ferait la conversion de la récolte entière de céréales du pays en éthanol. La prochaine étape est un passage complet à des voitures hybrides gaz-électrique qui peuvent être rechargées pendant la nuit, ce qui permet de faire les courtes distances avec l’électricité: conduite quotidienne au travail et courses, par exemple. Un besoin encore plus fondamental est de restructurer les systèmes de transport (http://www.earthpolicy.org/index.php?/book_bytes/2010/pb4ch06_ss3) pour fournir bien plus d’options que l’automobile personnelle.
 
En tant que premier exportateur de céréales et premier producteur d’éthanol, les États-Unis sont aux commandes. Ils doivent s’assurer que des efforts pour réduire leur forte dépendance aux importations de pétrole ne créent pas un problème beaucoup plus grave: le chaos dans l’économie alimentaire mondiale. Le choix se situe entre un avenir de hausse des prix alimentaires mondiaux, la propagation de la faim, l’instabilité politique croissante; et un avenir avec des prix de denrées alimentaires plus stables, une réduction forte de la dépendance au pétrole et des émissions de carbone beaucoup plus faibles.


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Adapté du chapitre 2, “Pression démographique : terre et eau” de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009) de Lester R. Brown, disponible en ligne sur www.earthpolicy.org / index.php?/ Books/pb4

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